La lutte contre la dénutrition s’affiche pendant une semaine et fait consensus

Pour cette première semaine de sensibilisation autour des problématiques de dénutrition lancée en pleine crise sanitaire du 12 au 19 novembre, les acteurs des établissements de santé, Ehpad et structures médico-sociales semblent avoir bien répondu présent. Au total 2 300 actions de proximité ont ainsi été organisées, a rappelé dans sa contribution La maladie invisible de la Covid, Jérôme Guedj, directeur de l’observatoire des politiques sociales de la Fondation Jean Jaurès. Son analyse de la situation met en exergue le lien entre la crise sanitaire et la dénutrition. Cette problématique répondant directement à l’actualité sanitaire est en effet apparue à plusieurs reprises dans les débats organisés pendant cette semaine (lire aussi nos articles ici et ). Il remarque aussi que malheureusement la dénutrition reste toujours au second plan des problématiques de santé publique et pourtant un certain consensus semble se faire autour de la nécessité de prendre mieux en charge la perte de poids, ne serait-ce qu’en imposant la pesée.

La dénutrition reste une maladie mal connue

Dans sa contribution, présentant les résultats d’un sondage réalisé par l’Ifop pour le collectif de lutte contre la dénutrition et la fondation politique Jean Jaurès, Jérôme Guedj regrette que la perte de poids et tout particulièrement la dénutrition aient été considérées jusqu’à présent dans la santé publique comme des problématiques secondaires de la nutrition. L’obésité, la surcharge pondérale et les pathologies qui leur sont liées (diabète, maladies cardiovasculaires…) semblent avoir été privilégiées dans les politiques de nutrition. Il ajoute que 77% des personnes interrogées « ont déjà entendu parler de la dénutrition » mais seules « 46% voient précisément de quoi il s’agit. 31% identifient vaguement de quoi il s’agit et 23% n’en ont jamais entendu parler« . En ce qui concerne les professionnels de santé, Jérôme Guedj rappelle que le programme national nutrition santé (PNNS) prévoit « de former l’ensemble des professionnels à la prévention, au dépistage et à la prise en charge de la dénutrition, de renforcer la formation clinique des diététiciens (améliorer les cursus de formation), de favoriser le dépistage précoce de la dénutrition chez les séniors et de promouvoir la charte nationale pour une alimentation responsable et durable dans les établissements médico-sociaux, ainsi qu’un développement des activités physiques adaptées« . Ajoutant que ces orientations ne répondent qu’à une partie des enjeux de la lutte contre la dénutrition.


Pour donner plus d’écho au phénomène sur les réseaux sociaux, les politiques et tout particulièrement les parlementaires, ont été sollicités pour promouvoir la semaine nationale. Éric Fontaine, président fondateur du collectif de lutte contre la dénutrition mais aussi président de la Société francophone nutrition clinique et métabolisme (Sfnep) et responsable de l’unité de nutrition artificielle du CHU de Grenoble (Isère), confirme qu’il s’agit d’une maladie encore trop peu connue et qui pourtant concerne tout le monde. Que de chemin parcouru depuis la création en 2016 du collectif. À l’époque Éric Fontaine prônait déjà, avec le premier manifeste du collectif, l’espoir d’une grande mobilisation nationale pour contrer les dommages de la dénutrition (lire aussi notre article). L’objectif affiché il y a quatre ans de « zéro personne âgée tuée par la dénutrition » n’est pas encore atteint.


Point positif toutefois, la lutte contre la dénutrition a fait son entrée dans le programme national nutrition santé (PNNS) 2019-2023 comme un objectif à suivre. C’est d’ailleurs dans ce cadre que la semaine nationale a pris forme. De nombreux autres soutiens à cette cause sont venus du monde médical, économique, social.

De la nécessité de mieux sensibiliser les professionnels

Pendant cette semaine, des communications de toutes formes se sont succédées. La Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) a par exemple lancé son premier podcast sur cette thématique en donnant la parole à un des membres du collectif, le Pr Agathe Raynaud-Simon, également présidente de la Fédération française de nutrition et chef du département de gériatrie à l’Hôpital Bichat à Paris. Elle a tout particulièrement insisté sur la nécessité de mieux sensibiliser les professionnels de santé à cette problématique, reconnaissant au passage que globalement les gériatres semblent mieux informés que leurs collègues des autres disciplines.


Concernant les structures médico-sociales, elle a indiqué que les messages de prévention de la dénutrition étaient plutôt compliqués à faire passer auprès des résidents d’Ehpad qui se présentent comme des personnes très âgées — 87 ans en moyenne — et malades pouvant même développer des troubles bucco-dentaires. Tout cela faisant d’eux une population « pas facile à faire manger« . Pour autant, elle a rappelé que différentes observations ont démontré que la qualité de prise en charge de l’établissement, l’existence de protocoles de dépistage font « varier le pourcentage de dénutrition indépendamment des caractéristiques des résidents« . Pour ces derniers, l’espérance de vie en Ehpad diffère aussi d’un individu à l’autre avec une moyenne de 18 mois à deux ans. Elle suggère de privilégier pour ces âgés une alimentation plaisir conviviale. Les repas seront adaptés en enrichissant l’alimentation des résidents. Elle a évoqué des expériences menées pour cela par l’organisation des buffets au petit-déjeuner dans lesquels les résidents peuvent se servir plusieurs fois. Autre exemple d’enrichissement alimentaire, des Ehpad ont installé des distributeurs de collations en libre-service et d’autres peuvent avoir recours au manger main. Tous ces exemples semblent prouver que des solutions peuvent être mises en œuvre encore faut-il dépister la dénutrition.


En guise de conclusion de cette semaine pendant laquelle les webinaires organisés par le collectif ont montré toute l’étendue du phénomène et de la diversité des sujets liés à la dénutrition, le collectif a publié le 22 novembre une tribune dans le quotidien Le Monde signée par trois membres fondateurs du collectif Éric Fontaine, Agathe Raynaud-Simon, Joseph-John Baranes (chirurgien-dentiste) accompagnés de Jérôme Guedj. Dans cette ultime communication, ils reviennent sur les chiffres les plus caractéristiques de la dénutrition soit : un patient hospitalisé sur trois, 40% des malades du cancer, un enfant hospitalisé sur dix, de 5 à 10% des personnes âgées à domicile et de 30 à 40% des résidents d’Ehpad. Ils insistent aussi sur le fait que la dénutrition n’est pas une fatalité et suggère pour la combattre cinq mesures (lire encadré ci-dessous). Rendez-vous maintenant l’année prochaine.

Les 5 mesures pour combattre la dénutrition :

  • réaliser un dépistage bucco-dentaire gratuit à l’âge de la retraite pour détecter en amont les problèmes de dentition car des dents manquantes, c’est une mastication difficile et un risque de dénutrition ;
  • mettre en place un soutien réel aux activités physiques adaptées pour les plus fragiles ;
  • accroître les budgets des établissements pour l’achat de denrées, offrir le choix du menu et de l’endroit où l’on prend son repas et réduire le jeûne nocturne (modification des horaires, ajouts de compléments alimentaires) ;
  • instaurer un suivi systématique du poids ;
  • recruter des professionnels de la nutrition à l’hôpital, dans les Ehpad et en ville.
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